Le petit vaisseau « L'Orphéon » venait de considérablement réduire sa vitesse afin d'éviter la panne sèche, toujours redoutée dans ces parages où le premier ravitailleur se trouve à des millions de kilomètres.
Les quatre jeunes amis effectuaient leur Stage de Découverte sur ce yacht de classe interplanétaire appartenant à leur Université, et avaient décidé d'explorer les corps de la ceinture de Kuiper 1, dans le système solaire extérieur. Pour économiser le carburant, ils avaient judicieusement placé leur nef en L5 2 par rapport au planétoïde Éris (136199) 3 et à son soleil artificiel qui orbitait autour. Le yacht formait ainsi la troisième, bien que minuscule, boule de ce jeu de billard spatial.
Huguette pilotait avec tendresse, ce qui consistait à échanger des câlineries avec Ivana, l'Intelligence Artificielle qui représentait le Syndicat des Ordinateurs du bord. Franek essayait de persuader l'ordinateur culinaire de mettre plus de chocolat, plus de beurre, moins de farine dans les petits pains, et tant qu'à faire, s'il pouvait ajouter un soupçon de liqueur d'abricot... Mais la partie était loin d'être gagnée. Dolorès, quant à elle, se chargeait de la navigation, autrement dit elle essayait de comprendre ce que pouvaient bien comploter les logiciels routeurs, et elle en informait Huguette qui d'ailleurs n'y prêtait qu'une attention polie. Karl, comme souvent, ne faisait rien, ce qui n'empêchait pas les autres de l'adorer.
Désormais sagement maintenu en place par l'attraction conjuguée de la planète et de son soleil, « L'Orphéon » se prélasse dans le douillet creux gravitationnel ménagé par ces deux corps célestes. Seule Dolorès, la Navigatrice, est restée attachée à son siège de fonction. Huguette et les garçons flottent dans le cockpit, tout contents d'être libérés des harnais.
— Nous voici à pied d'œuvre pour découvrir un monde qui n'est pas souvent visité, conclut Dolorès. Nous n'avons pu trouver dans les archives aucun récit de voyage, et rien dans les Instructions Nautiques à part les coordonnées, c'est curieux, non ? Nous allons être les premiers, notre Université en sera honorée. Voyons un peu...
Elle active le transpondeur et le scanner de fréquences. Il s'écoule moins d'une minute pour que l'écran affiche le visage glabre et réjoui d'un homme d'une quarantaine d'années, dont la voix chaude emplit soudain le cockpit :
— Yacht « L'Orphéon », bienvenue ! Désirez-vous visiter notre monde, la planète Concordia ? Je suis le lieutenant Jasper, l'officier d'immigration chargé de vous informer des modalités administratives si vous décidez d'atterrir.
— Bonjour monsieur l'officier, et merci pour votre accueil. Nous sommes en voyage d'études, et il nous serait agréable de visiter votre monde, répond Dolorès un peu étourdiment.
Huguette marque un léger temps d'arrêt alors qu'elle était en train de siroter une boule de chocolat avec une paille, microgravité oblige. Un léger froncement de sourcils alerte Dolorès, qui corrige :
— Que pouvez-vous nous dire pendant que nous nous préparons ?
— Je suis autorisé à vous informer que 86 % des navires qui croisent dans nos parages décident de se poser chez nous.