« Je crée ! » Nous sommes à des années du « Je pense donc je suis » de ce cher Descartes, cependant, nous en sommes déjà bien plus loin. De tous les accomplissements de l’humain, c’est indubitablement celui-ci le plus grand, l’inégalable, l’insurmontable. Un pouvoir dont il nous est impossible de réaliser l’étendue sur le moment, simples braillards babillant et trébuchant que nous sommes. La fierté que nous ressentons en est encore sous-estimée. « Ceci je le crée, ceci vient de moi, et de personne d’autre. Ceci m’appartient, ceci devient aussi libre que moi, et je l’offre au monde à chaque trait apposé d’un doigté peu assuré sur le papier». Le pouvoir de création, de communication, de faire croire et de faire ressentir. Dans cette dimension plate et blanche, nous sommes les dieux tout puissants. Peu parviennent à se rendre compte de l’immense pouvoir qu’on leur a donné, et peut-être que c’est tant mieux. Il y a du pouvoir qui n’a pas sa place entre n’importe quelles mains.
C’est précisément où je veux en venir. Mon amour de l’écriture m’a amené à ma passion pour les livres. Ces objets auparavant lourds, encombrants, fragiles, inutiles, sont devenus en ces instants autant de fenêtres sur autant d’univers complètement différents. Chacun contenait en lui une histoire – courte ou longue, vague ou détaillée, aucune importance – quelque chose qui n’existait pas, et pourtant vivait là quand même. Le paradoxe du rêve qui n’existe pas mais dont les souvenirs persistent tout de même. Est-ce alors réel ? L’a-t-on vécu ? Et qui pourrait prétendre affirmer le contraire ?
Des considérations qui ne m’effleuraient pas l’esprit quand j’étais absorbé par L’Odyssée d’Homère, La Fille du Capitaine de Pouchkine, ou Le Monde Perdu de Michael Crichton. La vie était insufflée dans la mythologie grecque, les cosaques des steppes et les dinosaures ressuscités. Je n’arrivais pas à me poser la question de savoir si cela s’était réellement passé ou non. C’était dans un livre, c’était donc, selon ma propre vision, fictif. Je crois que c’est pour cela que je n’ai jamais apprécié les récits biographiques et trop contemporains. Ce n’est pas assez faux pour moi, même si c’est indubitablement romancé – quant aux livres d’Histoire, c’est autrement différent ; le passé doit être archivé pour le futur, c’est notre grande narration.